Jamais content

31 mai 2005

A voté

Je ne comptais pas revenir sur le résultat du vote de dimanche (puisque cela me semblait suffisamment significatif) et puis la vision d'un "débat" (à prendre ici dans le sens de "se débattre") hier soir sur France 2 m'a décidé.
Pour celles et ceux qui auraient raté ça, je me souviens de Bernard Kouchner louant la modernité des propos d'un Raymond Barre égal à lui-même (entendre un thuriféraire de Charles Millon déblatérer sur le mode "les Français sont comme ci, pas assez comme ça" est une expérience à laquelle je ne résouds pas à m'habituer) et s'exclamant "Pourquoi est-ce qu'on va ne pas voir ce qui se passe du côté anglais ? Il y a de bonnes choses ! " ; je me souviens d'un éditorialiste au New York Times déplorant que les Français soient "gauchistes" et "archaïques" (Sarkozy frère était aux anges) ; je me souviens enfin de Philippe Torreton décidémment très en forme dans le rôle du citoyen qui met ses tripes sur la table : "L'économie de marché, elle a toujours existé, déjà au temps des cavernes..." (le site de France 2 étant ce qu'il est, je vous cite ses paroles d'évangile de mémoire).

Je vous passe les remontrances faites aux syndicalistes présents sur le plateau ("Allons, allons, après ce qui s'est passé dimanche, il n'y aurait pas moyen de la différer votre grève qui va encore prendre en otage des milliards de français ?"), l'intervention de Patrick Pelloux qui part bien et qui finit en eau de boudin... bref, j'étais prêt à répondre à la demande de Chryde ("D'ailleurs, même en cherchant bien, je trouve les blogs pro-non bien discrets. Au delà de quelques cris de joie, je n'ai rien lu de bien concret ni de bien solide.") même si je ne partageais pas entièrement son point de vue. Et puis, dans les réponses à son premier commentaire, j'ai lu les deux messages de Vincent (un confrère de la Blogothèque) et ceux-ci correspondent à ce que j'aurais voulu écrire. Ce qui suit donc est un copié-collé auquel je souscris entièrement.

Le oui à l'Europe était impossible pour plusieurs raisons.

- Tout d'abord il est illégal de faire rédiger une constitution par des types genre Giscard et sa bande (les fameux "experts") qui n'ont aucune légitimité démocratique. Si le Parlement européen avait été déclaré constituant, il aurait été habilité à présenter un texte à soumettre aux peuples européens. Là, dès le début, il y a vice de forme.

- Une constitution est un ensemble de lois fondamentales qui définissent le fonctionnement des institutions en se basant sur des grands principes moraux (type droits de l'Homme) et juridiques (séparation des pouvoirs). Là ce n'est pas le cas, c'est un texte idéologique qui inscrit dans le marbre un libéralisme caricatural.

- Une constitution doit pouvoir être facilement révisée. Or, là, d'après les procédures, c'était techniquement impossible.

- Le Parlement était en fait exclu de tout pouvoir réel, seule la Commission, non élue, avait le pouvoir de décision.

- Depuis que l'Europe s'est mise en place, nous allons vers un mode de société de plus en plus déplaisant et inhumain, fondé uniquement sur la compétitivité, qui rompt avec notre culture latine. La transformation de la France en vaste zone industrielle, la précarisation accrue de la vie des gens, l'impossibilité de se loger à Paris : autant d'alignements sur le modèle anglo-saxon. Pour ce qui concerne les nouveaux pays de l'UE, comme la Pologne, les pays baltes, la Slovaquie, etc. ils ont été acceptés à la va-vite dans l'espoir d'en faire des "Chine à domicile", c'est à dire des ateliers manufacturiers pour les pays riches de l'Europe de l'Ouest. Le but ultime est de nous faire accepter le modèle anglais, où paraît-il le plein emploi existe. Mais comment accepter qu'il y ait des gens dont le métier est remplisseur de sacs plastiques ou porteur de pancarte devant un magasin, comme j'en ai vu des centaines à Londres ? De plus les chiffres du chômage anglais sont sujets à caution : on enlève les chômeurs de longue durée. Ce modèle anglo-saxon repose enfin sur l'abrutissement du peuple, pour lui faire accepter des métiers pareils. D'où le système scolaire très inégalitaire, et la présence d'une presse populaire de caniveau à très fort tirage.

- C'est aussi ce dernier point qui me réjouit dans le "non" français : tous les médias, tous les appareils politiques étaient pour le oui. Mais, cette fois, les gens ont pris le temps de voir de quoi il en retournait, ils ont lu, se sont passionnés et comme par hasard ils ont choisi la voie différente que celle qui leur était martelée par l'autorité.
Pour toutes ces raisons, donc, le non est une bonne nouvelle selon moi. Mais je pense hélas que cela ne suffira pas à remettre en cause l'évolution de notre marche politique vers toujours plus d'inégalités et de scandales (les golden parachutes, la crise du logement...)

Il [le "non" au TCE] s'agit plus que d'un coup de gueule. Il s'agit d'essayer d'enrayer un processus de retour en arrière. On a connu, depuis un siècle, un processus d'amélioration des conditions de vie et de travail. Pour la première fois, c'est l'inverse qui est en train de se produire. Il est un fait incontestable : les basses classes françaises sont parmi les plus éduquées au monde, et c'est pour cela qu'elles se laissent moins faire. Résultat, les Anglo-saxons nous traitent d'arrogants et d'archaïques. Je prends ça comme un compliment. Mais quand j'entends un Kouchner traiter tous ceux qui ont voté non de "xénophobes", je trouve ça minable. Je pense qu'on a besoin d'une vraie grosse crise politique, et j'espère que les gens vont vraiment gueuler si rien ne change.

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Autres lectures intéressantes : Gueule de bois sur Le Monolecte et On refait le match chez Torpedo.
|| Rom # 13:36

30 mai 2005

Un pas de côté

"Disons-le, en procédant par ordre : d'abord, toute l'intrigue du dernier Star Wars (sur lequel repose tout le reste de la série) est comprise dans un seul court dialogue de Fassbinder. N'importe lequel.
Tout ce qu’on peut trouver dans le dernier Star Wars, c'est un paradoxe, un ridicule, rachitique paradoxe : comment le si beau et gentil Anakin a-t-il pu devenir si méchant? On nous explique que, traumatisé par la mort de sa mère, il a voulu apprendre le secret de l'immortalité que seules les forces obscures pouvaient lui enseigner. Manifestement, ce sont de fausses raisons, ou plutôt des raisons insuffisantes. Il n'y a qu'à observer les mines stupides et abasourdies de ses anciens compagnons devant sa transformation. Star Wars n’est rien que la longue et plate illustration de cette incompréhension. Ces Américains qui ont fait ce film et qui font tant d'autres films de guerre n'en reviennent apparemment toujours pas qu'il existe entre les hommes, et en eux-mêmes, des contradictions..."

(sur Notre musique)


et aussi Le weblog de J(...)-S (...) avec des photos (mais pas que).
|| Rom # 13:20

28 mai 2005

The Age of Self

They say the working class is dead, we're all consumers now
They say that we have moved ahead - we're all just people now
There's people doing 'frightfully well' there's others on the shelf
But never mind the second kind this is the age of self
They say we need new images to help our movement grow
They say that life is broader based as if we didn't know
While Martin J. and Robert M. play with printer's ink
The workers 'round the world still die for Rio Tinto Zinc
And it seems to me if we forget
Our roots and where we stand
The movement will disintegrate
Like castles built on sand

(Robert Wyatt, 1984)


|| Rom # 00:15

27 mai 2005

Clair de lune à Maubeuge / C'est déjà demain

François Ruffin (du journal Fakir) a fait un canular téléphonique : il s'est fait passer pour Frits Bolkestein auprès d'un entrepreneur local pour savoir s'il était possible d'avoir quelques Roumains payés à bas prix pour faire quelques travaux dans sa résidence secondaire française. Où l'on apprend :
- qu'un stagiaire en gros oeuvre à prix modique du pays d'origine, c'est déjà possible ;
- que le Roumain, ça comprend vite.

C'était dans l'émission "Là-bas si j'y suis" d'hier à écouter ici, avec également un point de vue très intéressant du chercheur au CNRS Fréderic Lordon sur le TCE.
|| Rom # 12:54

26 mai 2005

Et aussi

"Avec, au centre du récit, cette volonté d'affirmer que le terrorisme «de gauche» est une connerie ; que, «séparée de tout mouvement social offensif», la lutte armée sera utilisée par l'Etat pour asseoir encore plus son autorité. Vérité bonne à dire en 1972, alors que les maos (que Manchette méprisait) ou les anars se posaient encore cette question. Une quinzaine d'années plus tard, il approfondira cette opinion en préfaçant la version espagnole de Nada (préface que l'on peut lire dans le présent ouvrage). Il s'y reproche de n'avoir critiqué la «lutte armée» qu'en surface. D'avoir oublié «étourdiment d'envisager la manipulation directe du terrorisme par les services secrets de l'Etat, au besoin contre ses propres sujets et même ses propres dirigeants, comme on l'a vu en Italie dans l'affaire Moro et les "soi-disant" Brigades rouges...». Depuis Nada, Manchette a lu Guy Debord et le Véridique Rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie de Gianfranco Sanguinetti.

Dans une lettre de septembre 1977 à son copain Pierre Siniac (un autre rénovateur du genre, avec A.D.G. et Francis Ryck), Manchette écrit : «Je démarre souvent mes polars avec l'idée de dire quelque chose, une simple remarque de bon sens, rien de suprêmement dialectique... Je fonctionne un peu comme un gosse avec un sujet de rédaction..., j'illustre... L'intention générale étant de distraire les populations et, très accessoirement, de faire réfléchir...»"

(La Charge à la Manchette, Edouard Waintrop)

Deux posts dans une seule journée afin d'augmenter la valeur de ce blog sans stats sur les marchés (au moins 17 000 dollars). Comme ça, les marchés sont contents et si les marchés sont contents, l'humanité va mieux.


|| Rom # 16:50
Qui a dit...

"La campagne du non a été efficace et perfide parce qu'elle n'a pas porté sur la Constitution. La Constitution, c'est la première partie, c'est tout." (...) "Il y a à la queue, une troisième partie, c'est des anciens traités." (...) "Moi, je n'ai pas mis d'anciens traités dans la Constitution. Ce sont les juristes et les hommes politiques qui ont estimé que c'était nécessaire."

(Non, ce n'est pas Jacques Delors.)


|| Rom # 16:14

25 mai 2005

Ou être sourd

Lu dans les pages "radio" de Télérama à propos de l'avis des journalistes spécialisés sur le projet de Constitution européenne :

"A propos du référendum, il [Quentin Dickinson] dit : "C'est un défi pour nous de rester neutres. Surtout qu'en examinant le texte on arrive vite à la conclusion que le oui est la seule réponse. J'ai personnellement suivi toutes les réunions présidées par Valéry Giscard D'Estaing." (...) "...celui qui laisse voir ses opinions donne un coup de canif à sa carte de presse".

Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas Quentin Dickinson, deux moments qui me sont restés en mémoire :
- Un matin sur France Inter, à l'intervention d'un auditeur qui s'interroge sur l'éventuelle influence des lobbys sur les décisions prises par la Commission européenne, celui-ci répond : non, on ne peut pas dire que les lobbys aient une quelconque influence.

- Dans l'émission Arrêt sur Images, lorsque l'animateur demande à Quentin Dickinson pourquoi, alors qu'il est envoyé permanent à Bruxelles donc bien placé pour informer les auditeurs, il n'a parlé du projet de directive de F. Bolkestein que six mois après sa publication (au moment donc où tous les médias commençaient à s'en faire l'écho), celui-ci répond que "des directives, il en sort tous les jours" et que "c'est trop technique", bref que "ça n'intéresse pas les gens".

Quentin Dickinson est directeur délégué chargé des affaires européennes à Radio France. Je propose donc que l'on lance un appel d'offres dans toute l'Union européenne. C'est bien le diable si on ne trouve pas une personne succeptible de remplir sa fonction pour un salaire bien moindre.
|| Rom # 11:41

23 mai 2005

Chassé-croisé

Depuis quelque temps, la musique ne m'intéresse plus. Je ne sais d'où vient ce désamour mais depuis la sortie de The Great Destroyer de Low et le retour discographique de The Wedding Present, je me rends compte que mon attention se porte de plus en plus vers le cinéma. Mais là encore, je deviens difficile : à la vision de Million Dollar Baby, j'ai eu des doutes : c'est donc ça le grand chef d'oeuvre ? Une deuxième partie surlignée au Stabilo pour nous dire que le rêve américain ne fonctionne plus et que désormais, il faut faire comme tout le monde : tuer son prochain pour "y arriver" ?



Pourtant, j'ai suivi Clint Eastwood de loin en loin, ébloui par ses premiers essais (Play Misty For Me, Breezy) vus dans le désordre des reprises en salles, mais parfois aussi dubitatif devant une réussite inattendue (The Bridges of Madison County) ou une adaptation qui ne me parlait pas (Mystic River). Et puis, au cours de cette ennuyeuse seconde moitié de son dernier film, j'ai eu comme une intuition qui vient de se vérifier en consultant IMDB. Clint n'a plus rien à prouver en tant qu'homme de cinéma. Quoiqu'il fasse, c'est le succès assuré de tous côtés désormais. Peut-être même qu'il s'ennuie un peu. Alors, petit à petit, il s'est mis à la musique (sa passion secrète en amateur depuis très longtemps) officiellement. D'abord une chanson par ci, un thème par là puis maintenant, le score de ses propres films. Il ne me reste plus qu'à visionner ce DVD de Honky Tonk Man acheté lors de sa sortie.
|| Rom # 11:58

22 mai 2005

Unlike Dylan in the movies

"En comparaison, on relativise la soirée de l’an dernier finalement rock’n roll à rebours, où des oeuvres aussi différentes que Fahrenheit 9/11, Tropical malady et Old boy s’étaient partagés les trophées, pour motifs diverses, mélange d’intentions politiques, intello-chic ou zombies de vidéoclubs."

(Blog Cannes 2005 de Chronic'art)


"A l'heure qu'il est, nous sabrons le champagne, fin de festival. Dans quelques instants, le palmarès, que l'on suit d'un œil distrait à la télé. De toute façon, cela fait bien deux heures qu'on sait. Il n'y a pas un palmarès sans une fuite, tout à fait précise, plusieurs heures à l'avance. La preuve, il est 19h26 et je vous l'annonce: ce sont les Dardenne qui ont la palme d'or, leur seconde."

(Antoine de Baecque, Sur l'air de la Croisette II)


Enfin, Les Cahiers annoncent un nouveau site internet pour juin. Ca nous changera du sempiternel PDF.
|| Rom # 20:29

19 mai 2005

Arrêt sur Daniel Schneidermann

En lisant ceci, je me suis soudain souvenu de cela.

Etonnant ?

Non.
|| Rom # 17:11

16 mai 2005

Témoignage d'un revenu du oui

"A 15 jours de l'échéance électorale du 29 mai, je crois de mon devoir de citoyen d’apporter au débat public quelques éléments tirés de mon expérience personnelle. Je n’en ai pas eu la force auparavant, je le fais maintenant sans plaisir.

De prime abord naturellement favorable au projet de Constitution européenne – un « oui du cœur » –, j’ai passé tout le temps de la campagne à l’intérieur de l’un des principaux états-majors du Oui jusqu’à ce que, progressivement confronté au texte lui-même par la nécessité de répondre aux arguments du Non, j’en vienne à réaliser que ce projet de Constitution était dangereux pour la démocratie républicaine.
Instruit par les incohérences argumentatives du Oui, se sont bien plutôt imposés à moi nombre d'arguments favorables au Non, jamais entendus, qui m'ont retourné et engagé à soutenir résolument un "Non de raison". S’ils m’ont convaincus alors que j’étais favorable au Oui, peut-être pourront-ils servir à d’autres."

(Introduction du site Inédits pour le non)


|| Rom # 15:49
Encore un effort

Comme je suis un martyr rebelle de mauvaise foi, petite sélection sur le TCE (extraits ; pour lire en intégralité, on clique sur le titre du texte) :

"L'article III-314 du projet de Constitution ne fait que reproduire les dispositions de l'article 131 du traité de Rome du 25 mars 1957. Article 110 : "En établissant une union douanière entre eux, les Etats membres entendent contribuer conformément à l'intérêt commun au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et à la réduction des barrières douanières."

Il est simplement ajouté, dans l'article III-314 du projet, "la suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers directs" . En réalité, comme je l'ai démontré dans mon ouvrage de 1999 La Mondialisation. La destruction des emplois et de la croissance. L'évidence empirique -éd. Clément Juglar, 1999-, l'application inconsidérée, à partir de 1974, de cet article 110 du traité de Rome a conduit à un chômage massif sans aucun précédent et à la destruction progressive de l'industrie et de l'agriculture.

De là il résulte que l'argument présenté de toutes parts par les partisans du oui à droite et à gauche de la protection que donnerait le projet de Constitution à l'encontre des excès du "libéralisme" est dénué de toute justification réelle.Non seulement les partisans du oui trompent ceux qui les suivent, mais ils se trompent eux-mêmes."

(Aveuglement, par Maurice Allais, dangereux gauchiste Prix Nobel d'économie)


"Claude Imbert, fondateur et éditorialiste au Point est plus subtil. D'après vous, le peuple, il veut quoi? Lire la constitution ou se biturer? Se biturer bien sûr: « un système de démocratie représentative eût été plus prudent. Vous avez un garçon qui bosse toute la journée dans une usine à côté de Nancy. Il rentre tard le soir. J'aime autant vous dire qu'il a envie de boire une bière, il ne va pas regarder la constitution dans le détail. A quoi ça sert les Parlements? ». Claude Imbert s'interroge a juste titre. Il est possible (mais pas certain) que le garçon en question préfère aller boire une bière après sa journée d'usine plutôt que de s'adonner à une analyse du texte, en le comparant à la constitution française et américaine tout en gardant un oeil sur le texte allemand parce qu'il a un petit côté fédéraliste pas inintéressant, en l'espèce. Il faut dire qu'il est préférable de boire une bière que de choper la « vérole antidémocratique », hein ? !"

(Constitution européenne: générateur de connerie© automatisé, par Kitetoa)


Enfin, l'association L'Union pour l'Europe Sociale a décidé de rédiger une nouvelle partie III. C'est certes imparfait mais ça a le mérite de concrétiser les bonnes intentions de la partie II.


|| Rom # 12:37

13 mai 2005

Communiqué : une très mauvaise nouvelle pour les peuples. Pascal Lamy, membre du Parti socialiste français, va accéder à la direction générale de l’Organisation mondiale du commerce.

Après avoir été, en France, un de ceux qui mirent en oeuvre le « tournant de la rigueur » en 1983, il est devenu directeur de cabinet de Jacques Delors quand celui-ci, à la tête de la Commission européenne, instillait des doses de plus en plus massives de réformes néolibérales avec l’Acte unique, puis le traité de Maastricht.

Ce proche de Strauss-Khan et de Jospin, membre du comité directeur du PS de 1985 à 1999, a été pendant 5 ans un des conseillers en Europe du principal think tank du complexe militaro-industriel américain, la Rand Corporation ; il a été aussi le président de la commission « prospective » du patronat français.

Après un passage à la tête du Crédit Lyonnais où il organise sa privatisation avec la casse sociale qui l’accompagne, il devient membre de la Commission européenne en charge du commerce, c’est-à-dire négociateur unique de l’Union européenne à l’OMC et pour toutes les négociations commerciales de l’UE. Il manifeste une agressivité néolibérale digne de son prédécesseur, le thatchérien Léon Britan. C’est lui qui formule les propositions les plus avancées pour une mise en œuvre de la libéralisation des services (AGCS). C’est lui qui tente d’imposer aux 148 pays de l’OMC le contenu de l’Accord multilatéral sur l’investissement, rebaptisé "matières de Singapour". Son obstination et son arrogance sont à l’origine de l’échec cuisant subi sur ce dossier par l’Union européenne à Cancun en 2003.

Cette personnalité du PS est célèbre pour avoir déclaré : « le libre-échange est une bonne chose, même quand il provoque des licenciements, pourvu que cela se fasse selon certaines règles.» Depuis la fin de la Commission Prodi, il a été candidat partout où on peut imposer les dogmes néolibéraux : à la présidence de la Commission européenne, puis au FMI et à l’OMC. Il était appuyé par l’Union européenne et par les Etats-Unis après que les Européens aient soutenu la candidature du néo-conservateur Wolfowitz à la tête de la Banque mondiale.

Il y a quelques jours, assuré de son élection comme directeur général, il aurait déclaré, en aparté, à Genève, « si la Constitution européenne est adoptée, je n’aurai pas de problème à l’OMC avec les Européens.»

Raoul Marc JENNAR
chercheur URFIG/OXFAM
www.urfig.org



|| Rom # 15:51

11 mai 2005

Rock-collection

L'autre soir, dans notre restaurant italien préféré, nous voilà placés à côté d'une table de quatre et je regrette une fois de plus que mon enregistreur mini-disc soit irrémédiablement bloqué : face à face, deux garçons et deux filles. Ils se connaissent depuis longtemps mais se sont un peu perdus de vue. L'un des deux garçons parle haut et fort de sa vie de rock-star on the road : les fans ? Lorsqu'ils viennent dans la loge, il ne leur parle pas, d'ailleurs qu'est-ce qu'il leur dirait ? S'ensuit un comparatif des qualités de réception dans les différents pays d'Europe où l'on apprend qu'en Espagne et au Portugal, c'est pas des gens comme nous parce que la rock-star n'a pas eu droit à sa deuxième douche chaude de la journée. Plusieurs fois, il répète des mots en anglais ("cattering", "tour manager", "coke"...) pour bien montrer aux deux filles que rock-star, ce n'est pas le métier de n'importe qui. Celle qui est en face de lui a l'air de s'interroger mentalement : "Merde, quand je pense que j'ai été l'amie de ce type-là... Il ne s'est pas arrangé avec le temps..." L'autre est comblée par le pittoresque de cette vie de bohème et ne manque pas de s'esclaffer lorsque ça devient très voyou : "Ouais, tu'ois, on est allé à la piscine avec Feist et tu sais quoi, elle a un tatouage !!!"

A la fin du repas, la rock-star va payer au bar et son acolyte lâche mi-fier, mi-désabusé : "Mon frère, il a un peu la grosse tête, nan ?" Il essaie de montrer que lui aussi, le rock, ça le connaît : "On va voir quoi ce soir ? Hot Hot Heat. C'est pas trop mon truc ça. Moi, mon truc, c'est le rock... Les Strokes ! C'est mon groupe, ça, le chanteur, il braille et tout.... Sinon, PJ Harvey, ça déchire. Tu vois, elle arrive à faire du rock sensible, comme dans la pop mais en rock. J'crois que c'est une poète." Le frère revient (il est fort probable qu'il ait signé quelques autographes aux serveurs qui n'en demandaient pas tant) et rassure la bécasse de la table : "Nan-an, t'inquiètes, à la Maroquinerie, même si on est en retard, je rentre comme je veux !"

Sinon, certains bloggeurs émérites (et non des moindres) s'inquiètent du sort du pauvre François Pinault qui va être obligé d'exiler sa fondation pour sa collection d'art contemporain à Venise plutôt que sur l'Ile Séguin de Boulogne à cause des "lenteurs de l'administration française" qui font rien qu'à être méchants avec les entrepreneurs. Deux petites remarques :

- Lorsque on veut mettre en place une fondation artistique, la règle veut que l'on laisse les autorités compétentes vérifier votre collection avant de permettre au premier venu de se déclarer "grand protecteur de l'art contemporain". C'est la moindre des choses lorsque chaque don perçu (par les particuliers comme par les entreprises) se verra déductible des impôts à hauteur de 60%. Or, M. Pinault aurait bien voulu éviter cette étape (la vérification pas la déduction).

- Certes, M. Pinault n'est pas n'importe qui. Proche des sphères du pouvoir, son nom est également associé à une affaire dont on comprend qu'elle gène ce même pouvoir en des temps où l'on ne souhaite qu'une chose : le "oui" au référendum du 29 mai prochain.
|| Rom # 12:03

07 mai 2005

Gâchis et grisgris

"D'où vient cet immense gâchis ? Une première réponse se trouve certainement dans le projet fondateur lui-même, auquel les Français ont d'ailleurs fortement contribué, puisque celui-ci a été conçu comme un moyen de rationaliser le pouvoir au profit d'experts et de techniciens dans l'espoir d'affranchir la prise de décision des contingences de la vie politique.

Cette interprétation n'est toutefois pas suffisante car, avec le temps, les choses auraient pu évoluer autrement. Il faut donc avancer une autre hypothèse : le projet européen n'est pas (ou n'est plus, si l'on estime que cela a pu être le cas au début, ce qui n'est pas garanti) porté par l'histoire. Car la question que l'on doit se poser est bien la suivante : est-il possible de décider, quasiment du jour au lendemain, de faire une Constitution ? Une Constitution peut-elle se décréter dans les salons feutrés des conférences intergouvernementales ?

Pour ceux qui sont persuadés que la politique n'est jamais qu'une affaire de techniques juridiques et d'administration des choses, la réponse coule de source : c'est oui. Mais toute l'histoire constitutionnelle (à commencer par celle de la France, particulièrement riche en ce domaine) montre une réalité bien différente. Elle indique que les Constitutions sont toujours l'œuvre de circonstances exceptionnelles, elles naissent dans la douleur, parfois même dans le sang ; elles se conçoivent toujours comme la volonté de répondre à des problèmes et à des clivages majeurs qu'il s'agit de dépasser."

(Non pour la démocratie, par Vincent Tounier, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Grenoble)


"Que les présentateurs y croient à moitié ou pas du tout, le «cadeau» aura fourni de bien belles images aux JT. Ce qui semble l'essentiel. Car chaque jour apporte sa dose de poudre aux yeux. La machine à distribuer les grigris de la République bananière tourne à plein rendement, comme lors des plébiscites du Second Empire. La veille, c'étaient les «artistes» qui squattaient les écrans. Rassemblée sous les ors de l'Elysée, l'Europe de la culture venait tympaniser pour le oui. Quel rapport avec le référendum, puisque les politiques culturelles resteront de compétence nationale ? Aucun. L'essentiel, c'est que Johnny Hallyday appelle à voter oui (belle image). Et puis, voici encore une photo de famille des «parlementaires de la génération Europe» (ceux qui sont nés avant 1957). Quelle logique politique ? Aucune. Mais une image. Et puis, un Airbus A 380. Et pour faire bon poids, un réacteur nucléaire futuriste, l'énergie de la prochaine génération. Pluie de bienfaits."

(Pour le oui, cadeaux et grisgris, par Daniel Schneidermann)


|| Rom # 12:14